À Yathrib, désormais appelée Médine (madînat al-nabî, « ville du prophète »), Mahomet fait figure de chef théocratique. Aux anciennes organisations tribales il substitue la Communauté (omma) des croyants, fondée sur le seul lien religieux et composée alors de deux groupes : Mohâjiroun (« Expatriés » de la Mekke) et Ançâr (« Soutiens », de Médine). Dans les premiers temps il semble avoir voulu gagner les juifs dont il considérait la religion comme très proche de celle qu’il prêchait ; ses adeptes, dans leur Prière, se tournaient vers Jérusalem. Mais les juifs de Médine ne tardèrent pas à lui répondre par le mépris et la moquerie. Alors Mahomet rompt avec eux et oppose au culte mosaïque la religion d’Allah : le sanctuaire de la Mekke devient le point vers lequel les croyants se tournent pour la Prière (qibla).

De plus Mahomet rattache étroitement la nouvelle religion à celle d’Abraham qui, ayant vécu avant la révélation de la Loi mosaïque, n’était ni juif ni chrétien ; il marque ainsi son indépendance absolue à l’égard des « peuples de l’Écriture », dont la révélation serait de même source que le Coran, mais incomplète et déformée. Comme il fallait aussi assurer la vie matérielle de la communauté, Mahomet n’hésita pas à envoyer quelques hommes piller, pendant la trêve sacrée du mois de rajab, une caravane venant de Syrie en direction de la Mekke. Mais, lorsqu’ils voulurent recommencer, les Médinois se heurtèrent à une troupe de Mekkois : ce fut la bataille de Badr, en l’an ii de l’Hégire, où les musulmans mirent en déroute leurs adversaires, qui laissèrent 49 d’entre eux sur le terrain. Cette rencontre, si insignifiante en apparence, fut lourde de conséquences : Allah s’était déclaré pour le Prophète ; aussi est-elle appelée dans le Coran « le jour décisif ». Humiliés, les Mekkois rassemblèrent l’année suivante une troupe de 3 000 hommes, qui partit vers Médine ; Mahomet et les défenseurs l’attendirent auprès de la ville, sur les pentes du mont Ohod. Attaqués dans le dos, les musulmans furent pris de panique, leur chef blessé et son oncle Hamza tué ; ils réussirent cependant à se replier sur Médine. Non contents de ce demi-succès, les Qoraïch, voulurent en l’an V marcher contre la ville même. C’est alors que Mahomet, utilisant les services d’un Persan, fit creuser un fossé (« guerre du fossé ») ; les Mekkois, lassés du siège, se retirèrent. Durant ces épisodes la puissance de Mahomet avait grandi lentement. Il en profita pour éliminer peu à peu les tribus juives de Médine qui le gênaient. Après Badr, les Banou Qaïnoqa‘, dépouillés de leurs biens, allèrent s’établir en Syrie ; après Ohod ce fut le tour des Banou Nadîr, qui durent se retirer à Khaïbar ; enfin après la guerre du Fossé, les derniers, les Banou Qoraïza, accusés d’avoir manqué de loyalisme, subirent un châtiment exemplaire : hommes passés au fil de l’épée, femmes et enfants vendus comme esclaves. Dès lors Mahomet, maître incontesté de Médine, ne songea plus qu’à retourner dans sa ville natale. En mars 628, pendant l’un des mois sacrés, il part avec quelques compagnons, en état de sacralisation (selon les règles du culte païen), pour accomplir le pèlerinage de la Mekke.

Devant l’opposition des Qoraïch, ayant établi son camp à Hodaïbiya, il réussit à conclure avec eux un armistice de dix ans aux conditions suivantes : Mahomet n’entrerait pas à la Mekke cette année-là, mais l’an suivant les Mekkois évacueraient la ville pendant trois jours pour permettre à Mahomet et à ses compagnons d’accomplir le pèlerinage. Ainsi, pour la première fois, les Mekkois acceptaient de traiter d’égal à égal avec Mahomet, qui toutefois ne put se faire appeler dans le texte du traité, « Envoyé d’Allah », mais seulement « Mohammad, fils de ‘Abd Allah ». Son autorité grandissait toujours ; des tribus bédouines se ralliaient à lui et des Qoraïchites de marque, tel Khâlid b. al-Walîd, se convertissaient. En janvier 630, il décida de marcher sur la Mekke, en violation du traité. Il n’y eut pas de combat : les chefs qoraïchites vinrent faire leur soumission et Mahomet entra dans la ville sans coup férir ; en armes, il alla toucher la « pierre noire », entonnant le cri « Allah akbar » (Dieu est le plus grand), et fit détruire les idoles qui encombraient la Ka‘ba. Il parla ensuite aux musulmans, leur annonçant le commencement d’une ère nouvelle, où « la seule aristocratie serait celle de la piété ». Mahomet avait réussi à étendre progressivement sa domination sur une grande partie de l’Arabie, maintenant en voie d’organisation.

Il reçut même la soumission des chrétiens de Najrân, à qui il laissa, selon la tradition, leurs biens et leur religion, moyennant paiement d’un tribut. Inquiet, semble-t-il, des projets de l’empereur byzantin Héraclius, il lança contre la Syrie une expédition qui s’arrêta quelques lieues plus loin ; malgré son insuccès cette initiative ouvre l’ère des grandes conquêtes : l’islam commençait à faire preuve de ce besoin d’expansion qui allait caractériser son évolution future. En 632 enfin, Mahomet accomplit le pèlerinage à la Mekke selon le rite prescrit par lui-même : ce fut le « pèlerinage d’adieu ».

Quelques mois après, à Médine, il fut pris d’une forte fièvre, qui l’emporta le 13 rabî‘ I (8 juin). De son séjour à Médine date une seconde série de sourates, de style moins tourmenté. Œuvre d’un législateur religieux et social, elles contiennent surtout des prescriptions destinées à organiser le nouvel ordre instauré par l’islam. Souvent très précises, ces règles s’appliquent directement à la vie de l’époque, sans prévoir l’extension future de la communauté ; il s’y joint des sentences, permettant de définir un idéal cultuel, moral et socioreligieux. Enfin bien des versets reflètent l’actualité historique : luttes que les convertis eurent à soutenir contre leurs ennemis, idolâtres, juifs, chrétiens, dont la doctrine est l’objet de violentes attaques, et « hypocrites » sur qui tombent les plus terribles malédictions. Si les sourates du Coran paraissent ainsi souvent liées aux différentes époques de la vie et de la prédication de Mahomet, elles n’en constituent pas moins une seule « révélation », base essentielle de l’islam qui « est l’acceptation du Coran avant l’imitation du Prophète » (L. Massignon). En effet Mahomet n’est pour les musulmans qu’un homme qui mena la vie de tous, occupé à organiser la communauté pour le bien général en même temps qu’à avertir les hommes de l’imminence du Jugement ; si par la suite on tendra à l’élever au rang d’un saint, la position orthodoxe sera toujours de lui dénier tout miracle autre que la révélation du Livre. Celui-ci, écrit dans la langue du Hedjaz (mêlée de quelques emprunts aux dialectes voisins), constitue pour les Arabes un message clair, bien qu’empreint d’une « inimitabilité » littéraire (i‘jaz).

On peut l’apparenter à certains livres de l’Ancien Testament (Sapientiaux, par exemple), car il « met en jeu cette rapidité abrupte avec laquelle les langues sémitiques passent du sens propre au sens métaphorique sans se ménager les lentes ascensions des langues aryennes » (J.-M. Abd el-Jalil). Livre arabe, livre sémitique, il se présente aussi comme un livre « inspiré » que domine une intention maîtresse, libérant son style des liens étroits de l’incantation poétique. C’est ainsi le premier livre en prose des Arabes, celui qui éleva leur idiome à la hauteur d’une langue de civilisation, tandis que sa récitation rythme et inspire toute la vie des musulmans.

QUE SAIS-JE ?
L’islam
( Dominique Sourdel )

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